Patricia Eichel-Lojkine
Le Mans Université, 3L.AM
Bien qu’elle ait vu le jour dans des États indépendants situés aux frontières du royaume[1], Louise de Savoie (1476-1531) a été élevée au cœur du pouvoir royal : elle reçoit une éducation soignée mêlant culture profane et instruction religieuse auprès de la régente Anne de France, sa parente[2]. Aussi a-t-elle été préparée dès l’enfance à jouer un rôle au service de la Couronne[3]. Mécène active, placée, comme sa contemporaine et rivale la reine Anne de Bretagne, « au cœur d’un cercle littéraire, dédicataire ou commanditaire de multiples œuvres[4] », elle fait bénéficier de sa protection des poètes de talent (Octavien de Saint-Gelais), des musiciens, des brodeurs, des tapissiers, des artisans du livre (l’enlumineur Robinet Testard, l’imprimeur Antoine Vérard, des copistes)[5]… Pour autant, elle n’est pas femme à se contenter d’être une incitatrice culturelle en marge de la sphère politique. À l’instar de la dame de Beaujeu, son parcours témoigne de son refus de s’en tenir à une fonction symbolique de « reine des cérémonies[6] ». Savoir et pouvoir, culture et autorité sont dans son esprit indissociables.
- La dame au compas
Mariée à 12 ans, en février 1488, à un prince du sang de 28 ans (Charles de Valois-Angoulême, descendant de Charles V) qui la laisse veuve en 1496, elle se bat pour obtenir la tutelle des petits orphelins de père nés respectivement en 1492 et 1494 : Marguerite de Valois-Angoulême (qui deviendra duchesse d’Alençon, puis reine de Navarre) et François, créé duc de Valois en 1499. Entre 1503 et 1505, Louis XII tombe gravement malade à plusieurs reprises, ce qui l’amène à rapprocher le petit Angoulême du trône en l’unissant sur le papier à sa fille Claude de France[7]. La modification de son testament (31 mai 1505) prévoit aussi une gestion originale de la minorité royale : la régence du royaume serait confiée à la reine Anne, récemment couronnée pour la seconde fois (6 novembre 1504), tutrice de la petite Claude, mais la souveraine devrait composer avec un conseil de régence comprenant principalement Louise de Savoie et le premier conseiller royal, le cardinal Georges d’Amboise[8].
La mère de l’héritier présomptif à la couronne (et futur époux de la fille aînée du couple royal), une fois installée avec les enfants au domaine royal d’Amboise par la volonté de Louis XII, s’impose de plus en plus dans une cour en train de se féminiser[9]. Suivant une habitude prise à la modeste cour de Cognac dont elle n’a eu de cesse d’enrichir la bibliothèque familiale, la « noble dame et maistresse[10] » continue en Val de Loire à commander régulièrement des manuscrits somptueusement enluminés dont les dédicaces flatteuses lui attribuent des capacités politiques alors même que se précisent les prétentions dynastiques de son prometteur « César ».
Si François de Valois, encore mineur, devait être intronisé, alors elle serait la première mater regis de l’histoire de France à assurer la fonction de régente jusqu’aux 14 ans du roi, sans être elle-même reine-mère. Veillant tout naturellement aux intérêts de son fils, elle aurait toutes les chances d’apparaître comme aussi légitime qu’Anne de Bretagne pour remplir cette mission[11]. Cela dit, même avec l’autorité d’un testament, cette demande ne relève pas d’une dévolution institutionnelle statutaire dans l’organisation monarchique[12]. Dans le cas plus courant où une reine-mère (voire une sœur aînée, comme Anne de France[13]) revendique prioritairement l’intérim jusqu’à la majorité du dauphin, une démarche est nécessaire. Dans les faits, cela lui est très généralement accordé car le risque d’une usurpation du pouvoir et d’une installation féminine durable sur le trône est nul en vertu de la loi salique[14]. En somme, si l’opération ne va jamais de soi, on peut parler de coup de force à propos de la configuration exceptionnelle d’une comtesse placée sur les rangs comme régente en puissance. La manœuvre exige qu’elle soit lucide sur ses faiblesses – son lignage, l’hostilité de la reine-duchesse et du maréchal Pierre de Rohan-Gié) – comme sur ses atouts : la force de la filiation et le sang partagé avec le « dauphin », sa réputation d’éducatrice, sa proximité avec le chef du Conseil Georges d’Amboise et, enfin, ses propres capacités politiques.
En ces temps de potentielle fin de règne[15], comme pour préparer les esprits, le célèbre Compas du dauphin (1506) fait de Madame « le compas et mesure du dauphin[16] ». Elle est représentée, dès la première enluminure, tenant un immense compas bleu, cet instrument capable de tracer un cercle parfait, c’est-à-dire divin.
La comtesse chercherait-elle, par petites touches successives, à se faire reconnaître comme légitime dans la fonction convoitée de régente ? Bien que ce ne soit pas le propos premier de l’ouvrage, le Dialogue sur le jeu, composé à Amboise en 1505 par le prélat érasmien François Demoulins de Rochefort (aumônier de Louise et précepteur de François d’Angoulême[17]), mérite aussi d’être convoqué dans ce débat.
- La folie du jeu et la cour de Dame Prudence : un double titre révélateur
Ce traité éducatif est rarement étudié malgré l’intérêt de sa forme dialogique (sur le modèle d’une conversation entre un jeune pénitent et son confesseur) et de son sujet conduisant l’auteur à aborder les rapports entre jeu et éducation dans le sillage de Pétrarque, référence à la fois littéraire et morale pour les Médiévaux. Son titre complet – Dialogue sur la folie du jeu et la cour de Dame[18] – annonce un double objectif : valoriser une femme de savoir et de pouvoir en l’associant à la vertu politique de Prudence[19] ; répondre à un vœu parental plus immédiat et concret : détourner le juvénile François (11 ans) d’une passion mauvaise particulièrement inquiétante pour un « dauphin ». La mère comme le « maître d’école » savent que l’enfant approche de l’âge où il sera admis à communier (vers 12 ans) et à contracter mariage (14 ans pour les garçons, 12 pour les filles)[20]. Or des dangers guettent l’adolescent : les jeux incriminés par les moralistes sont alors en plein essor[21], notamment le flux, le glic, le maucontent et la triomphe, qui reposent, à des degrés variables, sur la chance ou sur l’habileté[22]. Les condamnations de l’Église semblent bien vaines face au phénomène de société que représente cet engouement.
Sur un plan culturel, le thème s’inscrit dans une tradition morale continue. Après Thomas d’Aquin mettant en garde contre un vice capable de concurrencer l’amour de Dieu dans l’âme du pêcheur[23], Pétrarque, synthétisant les apports des cultures théologique et patristique et le savoir antique, produit un dialogue fort prisé de la haute aristocratie médiévale et bien connu de frère Demoulins, le De Remediis dont Louise de Savoie a fait réaliser une nouvelle traduction et dont elle possède un magnifique manuscrit rouennais (1503)[24]. Sans surprise, le moraliste toscan sensibilisait aux conséquences dramatiques des jeux de hasard, et même de stratégie comme les échecs. Il mettait en scène un échange polémique entre Joie affirmant effrontément « le jeu de dés me plaît » et Raison lui objectant que « c’est un grand gouffre qui ne se peut emplir, auquel soudainement et à grande tristesse on perd son patrimoine[25] ». De cette méfiance envers les jeux de dés ou de cartes, on trouve encore mention dans un autre livre, plus tardif, dédié à la comtesse d’Angoulême, le Régime et doctrinal du jeune prince (1515)[26] du médecin lyonnais Symphorien Champier consacré principalement aux soins du corps du nourrisson, mais abordant, à mesure que l’enfant grandit, la question des mauvaises fréquentations, des exercices déshonnêtes et des loisirs à bannir : « Et doit éviter le jeune prince jeux défendus et tous sorts comme des cartes et semblables[27] ».
Dans ce contexte, le Dialogue sur le jeu nous renseigne sur la manière d’articuler « prudence » et « autorité » – deux mots souvent conjoints dans les premiers traités politiques comme ceux de Claude de Seyssel – en s’adressant, en fait, moins au tout jeune prince qu’à sa mère, femme savante et puissante qui n’a l’intention de renoncer ni à son statut maternel, ni à ses prérogatives de souveraine de plusieurs terres[28], ni à son implication dans l’arène publique. Car si la participation aux affaires d’épouses, de mères, de veuves était dominante dans l’espace domestique sous l’Ancien Régime, elle ne s’y restreignait pas, mais s’étendait à certaines activités dites publiques[29]. Toutefois, , l’influence grandissante des « progressistes » que sont les humanistes pédagogues (Érasme, Vivès, Mathurin Cordier) commence dès lors à jouer un rôle ambigu : leur insistance sur l’importance du lien mère-enfant et sur l’investissement maternel à destination du tout-petit fait passer au second plan ce phénomène avéré, quoique minoritaire et élitaire, de l’exercice de l’autorité féminine dans la sphère politique[30].
Sous l’aspect en apparence anecdotique du thème abordé par le prélat Demoulins (le goût d’un jeune prince, peut-être futur roi, pour les jeux de hasard), l’ouvrage en question définit donc le rôle d’un clerc pédagogue (subordonné masculin) œuvrant sous la surveillance d’une éducatrice en chef (commanditaire féminin) à qui l’on tend le miroir de Dame Prudence. Il reflète la situation sociale de dépendance d’un serviteur osant « bailler [s]on œuvre mal ornée » à une « magnifique princesse[31] » et renvoie parallèlement à la tradition culturelle « des femmes fortes et prudentes[32] ». À une date où Louise de Savoie n’a pas encore eu l’occasion de s’illustrer dans la diplomatie et dans le gouvernement, mais apparaît avant tout comme tutrice de l’héritier présomptif et mécène en matière de lettres et d’art, la seconde partie du titre (« la cour de dame Prudence ») a tout pour agréer une protectrice nourrissant des arrière-pensées politiques.
- La construction d’une prééminence symbolique
À la différence d’Anne de France composant elle-même, dans les mêmes dates (1503-1505), ses Enseignements en signe de « la parfaite amour » qu’elle a pour sa fille Suzanne de Bourbon (née en 1491)[33], Louise de Savoie ne s’adresse pas directement à sa chère progéniture, mais commande des livres à des plumes choisies, ou s’attend à recevoir des ouvrages de la part de son entourage lettré sans sollicitation directe[34]. Les textes et les miniatures peuvent donc – et même doivent – faire référence à sa personne. Dans le cas présent, les apports visuels vont plus loin que la traditionnelle représentation des armes rendant compte de la dignité d’une lignée, ou que les habituelles scènes de présentation du livre chargées de faire écho à la rhétorique encomiastique des dédicaces liminaires[35]. De fait, dans les images agrémentant le court manuscrit de Demoulins, la comtesse d’Angoulême se voit magnifiée trois fois, sous des formes et dans des incarnations différentes :
- En dédicataire de l’ouvrage, selon un modèle attendu :
Dans un médaillon cerné de noir (placé en marge d’une ballade composée par Demoulins), figure une scène d’offrande du livre par le pensionné mettant un genou au sol. La commanditaire reçoit le don, assise sur un fauteuil en bois ; elle est coiffée d’un rigide attifet de veuve et d’un serre-tête blanc couvrant entièrement le front ; les manches en cornet de son somptueux manteau noir sont fourrées de martre[36].
- En Euphrosina (Dial., f. 13v), une des trois Grâces avec Thalia et Aglayé (Thalie et Aglaé) :
Reconnaissable à son attifet noir de veuve sur son bandeau blanc, ainsi qu’à sa luxueuse robe de brocart jaune doublée d’hermine, Louise/Euphrosine porte un plateau de pommes en direction de l’auteur, qui reçoit ainsi récompense pour son effort, de même qu’Hercule vainqueur du lion de Némée (figuré sur une montagne surplombant la scène) reçoit le bénéfice de l’immortalité des dieux de l’Olympe au terme de ses travaux. Sous ce voile mythologique, la mécène et protectrice est subtilement invitée à reconnaître le labeur d’artisans du verbe et d’« ymagiers » assurant la transmission de sa réputation et d’une vision positive de son éminente position à la cour.
- En allégorie de Prudence :
Incarnant une vertu cardinale, Louise/Prudence porte un manteau bleu, une couleur qui fait penser aux représentations traditionnelles de la Madone. Pur hasard ? Pour S. Ambroise déjà, la volonté de rester fidèle au disparu rend la veuve comparable à la Vierge : parce qu’elle conserve sa chasteté, le royaume des cieux se trouve à sa portée[37].
Le manteau de Prudence est parsemé de chiffres L dorés, où sont incrustés de petits F rouges et M blancs en référence aux prénoms François et Marguerite. Dame Prudence est représentée couronnée et trônant sous un dais royal, tenant un miroir pour signifier sa double aptitude à se souvenir du passé et à prévoir l’avenir ou bien, dans une perspective religieuse, sa piété et sa lucidité sur ses péchés : elle se voit sans fard, se repend et s’ouvre ainsi la possibilité du Salut[38]. Conformément à l’imagerie morale médiévale, la figure symbolique est entourée, sur son flanc droit, par les trois autres vertus cardinales qui la complètent : la justice (ici Justicia à l’épée et à la balance), la force de cœur ou fermeté (Fortitudo à la cuirasse, au casque ailé, à la tour et au cœur) et la mesure permettant la maîtrise des excès et des passions (Temperantia, la médiévale « attrempance » munie de lunettes).
Pour les Pères de l’Église, Prudentia, dissociée de son premier ancrage politique et civique[39], devient indissociable de la foi, de la reconnaissance de Dieu par sa créature[40]. Aussi les trois vertus théologales (Foi, Espérance, Charité ou Amour), véritables dons de Dieu au fondement de l’existence du chrétien pour saint Paul[41], priment-elles sur le premier ensemble des vertus « humaines » acquises par la bonne éducation[42]. Rien d’étonnant, donc, à ce que la Prudence du Dialogue sur le jeu (f. 2v) soit flanquée des vertus cardinales, mais ait le corps et le regard tournés vers les notions théologiques, placées sur sa gauche. Celles-ci rendent possible la vie contemplative, conçue comme supérieure à la vie active. Le pur Amour de Dieu (Amor), assis à terre et tout juste couvert d’un pagne, semble inséparable de l’amour du prochain, car de son flanc sort la Charité (Caritas) ; tout aussi dénudée, celle-ci porte dans ses bras la Pauvreté en haillons (Pauperpas). Quant à la Foi (Fides), vertu infuse et don gratuit de Dieu, elle apparaît dignement couverte et portant haut la coupe sacrée, assistée de deux dames d’honneur en retrait chargées de porter sa traîne (Veritas et Constantia), sur le modèle des vertus secondaires dans le classement de Thomas d’Aquin. Enfin l’Espérance, avec son navire à la main, donne la force d’affronter toutes les vicissitudes et de supporter les épreuves (Spes).
C’est sans doute ce qu’explique, sur la même page peinte, le confesseur au jeune étourdi, figurés légèrement à l’écart de cette Sainte Conversation laïque entourant une miséricordieuse Prudence. Ils forment un duo masculin séparé du groupe féminin par la ligne verticale d’un tronc d’arbre. Sous de vertes frondaisons, l’échange entre le confesseur et le pénitent se poursuit, avec l’espoir que ce dernier fasse amende honorable, pivote sur lui-même, se retourne et demande « merci » à la Vertu trônant sous son dais : par le geste de sa main gauche et la position de son corps, Prudence semble n’attendre que cela de son fils.
- Une femme savante en l’art de (se) gouverner
Une série de livres réalisés à la demande de Louise de Savoie à partir de 1503 témoignent de l’investissement d’une mère d’à peine 30 ans pour la formation morale, politique et culturelle de sa progéniture, des Remèdes de l’une et l’autre fortune au Chapelet de vertus[43]. Ces ouvrages révèlent le pouvoir conféré, non aux vertueuses exhortations et aux bonnes paroles, mais à un corps de doctrine et de savoirs patiemment élaboré et transmis dans l’entourage des grands d’une génération à l’autre, indépendamment des sexes[44].
Ce savoir éthique et politique s’est sédimenté au cours des siècles, avec quelques étapes clés. La vertu de prudence a migré vers le monde chrétien au Ve siècle avec S. Ambroise qui relit le De Officiis de Cicéron à la lumière de la Révélation, et avec le poète Prudence dont la Psychomachie scénarise l’affrontement des vertus et des vices. D’un point de vue genré, une rupture majeure se produit avec la réappropriation médiévale de la théorie morale grecque : « Chez Oresme et Thomas, la prudence n’est ni masculine ni féminine, alors qu’Aristote explique que normalement les femmes ne la possèdent pas[45] ». Louise de Savoie aura surtout rencontré le terme sous la plume de Christine de Pizan[46] : la notion, féminisée, est devenue la mère de toutes les vertus dans La Cité des dames, L’Épître Othea[47] et le Livre de Prudence[48]. Prudence continue sa carrière comme personnage allégorique chez les grands rhétoriqueurs (XVe siècle), qui l’associent au sens de l’ordre et de la mesure, à la sobriété et à la modération (Tempérance)[49].
Dans une perspective civique, cette qualité « mondaine », différente de la sapientia divine, agit sur le terrain des contingences humaines. Incitant à la vigilance pour l’avenir à partir d’une mémoire du passé, elle concerne le « bien vivre » et apparaît même comme la qualité par excellence des hommes et des femmes d’État. Nul traité de gouvernement de soi et des hommes ne peut l’ignorer[50]. Car la prudence tempérée met en jeu l’empire qu’on a sur soi-même, condition pour une domination légitime des autres et garde-fou contre tout abus de pouvoir[51]. Le De Remediis ne disait pas autre chose : « La véritable puissance, et la mieux assurée est fondée sur la vertu », affirmait Raison, précisant encore : « si tu en ôtes les fondations, plus le bâtiment est grand, plus il est dangereux[52] ». Gouverner et se gouverner sont une affaire de politique, mais surtout d’éthique et de religion pour le Toscan et ses lecteurs.
C’est dans ce contexte intellectuel et culturel que, cinq ans après le Dialogue sur le jeu, Demoulins assimile de nouveau sa maîtresse à Prudence dans le Traité sur les vertus cardinales, écrit à sa demande vers 1510. Il y insiste sur la portée pratique de Justice, Force et Tempérance, « qui sont principalement pour des personnes politiques, comme sont princes et princesses[53] », tout en rappelant la dimension religieuse de la sagesse. Comme dans l’ancien Chapelet des vertus, Prudence est présentée ici en mère de toutes les vertus, alors que Folie règne sur l’ensemble des vices. En accompagnement du discours, une belle miniature du lyonnais Guillaume II Leroy figure Louise la main droite posée sur un gigantesque compas, instrument qui s’est imposé comme emblématique de cette vertu depuis le Compas du dauphin de 1506. Sous l’inscription « Prudence », la digne comtesse se dresse sur un chemin caillouteux. Elle fait face à un cerf surmonté d’une Croix et tient un écu portant la balance de la justice (f. 4r)[54].
L’aumônier poitevin Jean Thenaud emboîte le pas à son maître Demoulins lorsqu’il reçoit à son tour commande de Louise pour un Triomphe des vertus inspiré des Triunfi de Pétrarque[55]. Cet ouvrage en quatre traités s’inscrit dans une entreprise pédagogique commencée en 1508 pour le jeune Valois-Angoulême et achevée bien plus tard (1517) [56]. Dans le Triomphe de Prudence (Ier livre), une diatribe contre la folie des alchimistes se prolonge en direction des « joueurs [qui] prennent si très grande volupté à tables, dés et cartes que, quand ils oient parler de jouer, le cœur leur réjouit et sautelle, et ceux-ci sont souvent deux jours et autant de nuits sans faire autre métier[57] » (chap. 9). En faisant mine de féliciter ces insensés dans une « superbe louange et collation que Folie fait de soi-même », l’auteur s’approprie la satire récente d’Érasme (1511)[58]. Deux chapitres plus loin, le moine-courtisan ne met plus uniquement en valeur Madame, mais Marguerite d’Angoulême, « la fille de Prudence », présentée dans le texte comme l’exact portrait de sa mère : même visage, même contenance, mêmes « cheveux dorés sur le front bien divisés et justement séparés », mêmes « arcs de sourcils faits comme au compas » et surtout « pareil vouloir et beauté », indépendamment de la « disparité d’années[59] ».
Alors que son frère s’adonnait aux divertissements futiles ou dangereux, voilà sa sœur Marguerite chargée tout bonnement de chasser du monde ce personnage maléfique de Folie. Le « miroir céleste » de la « dive Prudence » est prêté par Madame à « sa fille unique » dans le chapitre final (chap. 11) : il possède « le pouvoir de châtier et détruire Folie avec toute sa puissance » sur la terre entière. Aussi Marguerite pourra-t-elle être ovationnée, comme dans les antiques triomphes romains au Capitole. À la vérité, cette victoire revient à son éducatrice, comme le reconnaît volontiers la jeune fille rendant hommage à la « déesse Prudence » : « Je suis venue vers vous après victoire conquise contre Folie par votre éducation et discipline, afin que vous plaise me faire citoyenne perpétuelle de cette vôtre céleste Région[60] ».
(extrait : « Je suys venue vers vous apres victoire conquise contre folie par votre education et discipline. Afin que vous plaise me faire citoyenne perpetuelle de ceste vostre celeste Region »)
Le royaume de Féminye serait-il antinomique de celui de Folie ? Au rebours d’une tradition misogyne fortement ancrée en milieu clérical, la vertu de Prudence devient, à l’aube du XVIe siècle, inséparable du nom de Louise sous l’impulsion de clercs œuvrant en propagandistes dévoués[61].
Alors qu’aucune place protocolaire codifiée n’était prévue pour le cas hors norme de la comtesse douairière, tout a été préparé dans les discours pour que sa persona d’éducatrice, magnifiée et sublimée, désignée comme « une autre Pallas et très sage Minerve[62] », impose comme naturellement le respect. Les textes et l’iconographie produits sous son contrôle la montrent destinée à administrer le royaume en cas de minorité royale, avec des qualités équivalentes à celles du « père de peuple » qu’est Louis XII, un roi sans autre fils que le peuple, selon le discours repris à l’envi par les publicistes[63]. L’identification flatteuse à Prudence transforme ainsi une veuve issue d’une digne lignée – mais non fille de France – en une potentielle gouvernante capable non seulement de sagacité, de discernement et de prévoyance, mais aussi de hauteur de vue et de droiture morale en accord avec la théologie thomiste. Depuis que la mère des vertus est devenue féminine sous l’influence de Christine de Pizan, se faire représenter comme mère et comme vertu incarnée va presque de soi.
En l’occurrence, cela permet à la comtesse de faire d’une pierre deux coups : renforcer son autorité naturelle sur le « dauphin » et poser les bases de futures responsabilités à la tête d’un royaume où elle n’est pas née. Une pierre d’attente, donc, qui pourrait se révéler bien utile pour une femme instruite au caractère trempé, devenue une pièce incontournable sur l’échiquier politique dès 1505. Car Louise de Savoie n’ignore rien des débats idéologiques contemporains. Ceux-ci portent avant tout sur le modèle de « bon gouvernement » aux accents paternalistes incarné par Louis XII[64], mais aussi sur la légitimité d’un pouvoir féminin par substitution. En ces années où la santé détériorée du roi annonce des désordres au sommet de l’État et où l’on s’interroge sur les termes adéquats pour désigner un exercice transitoire du pouvoir au féminin – « gouvernante », « mère du roi », « mère du pays », « régente » ? – la construction d’une symbolique positive autour de sa personne est essentielle. De fait, elle ne portera le titre officiel de régente et ne sera appelée « mère royale » que bien plus tard, dans des circonstances tout autres[65]. Mais incarner la vertu suprême de prudence et la transmettre à ses enfants, c’est déjà ce que prétend cette femme de pouvoir au mitan de sa vie, nourrissant les ambitions les plus hautes pour son fils et se projetant elle-même comme sage négociatrice dans des tractations diplomatiques et matrimoniales à venir.
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[1] Elle est la fille aînée de Marguerite de Bourbon (ou de Bourgogne) et d’un adroit politique, le comte Philippe de Bresse, cadet de Savoie parvenu tardivement au titre de duc.
[2] Anne de France et Louise de Savoie sont cousines germaines, étant respectivement fille et nièce de Charlotte de Savoie (elle-même épouse de Louis XI et sœur de Philippe de Bresse).
[3] Voir notamment Tracy ADAMS, « La Prudence et la formation des femmes diplomates vers 1500 », in Pierre Brioist et al. (dir.), Louise de Savoie (1476-1531), Tours, PUFR, 2015, p. 29-37 ; Robert J. KNECHT, « Louise de Savoie (1476-1531) », in Cédric Michon (dir.), Les Conseillers de François Ier, Rennes, PUR, 2011, p. 173-186 ; Aubrée DAVID-CHAPY, Anne de France, Louise de Savoie, inventions d’un pouvoir au féminin, Paris, Classiques Garnier, 2016 et Louise de Savoie. Régente et mère du roi, Paris, Passés Composés, 2023.
[4] Murielle GAUDE-FERRAGU, La Reine au Moyen Âge. Le pouvoir au féminin XIVe-XVe siècle, Paris, Taillandier, 2014, rééd. Texto, 2022, p. 261 ; voir aussi Cynthia J. BROWN, « Dédicaces à Anne de Bretagne : éloges d’une reine », Études françaises, 47 (3), 2011, p. 29-54.
[5] Voir Muriel BARBIER, « La comtesse d’Angoulême (1488-1504) », in Thierry Crépin-Leblond (dir.), Une reine sans couronne ? Louise de Savoie, mère de François Ier, Paris, RMN, 2015, p. 40-57.
[6] Murielle GAUDE-FERRAGU, op. cit., p. 175 (c’est le titre du chap. VI).
[7] Sur l’important arrière-plan politique (règnes de Charles VIII et de Louis XII), voir Philippe HAMON, 1453-1559 Les Renaissances, Paris, 2009, rééd. Gallimard/Folio, 2021, p. 28-34.
[8] Plusieurs conseillers plus secondaires y siégeraient aussi (Engilbert de Clèves, Louis de La Trémoille, Florimond Robertet). Voir Didier LE FUR, François Ier, Paris, Perrin, 2015, p. 40-41 ; Fanny COSANDEY, « Puissance maternelle et pouvoir politique. La régence des reines mères », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 21, 2005, §8.
[9] Voir Aubrée DAVID-CHAPY, « Louise de Savoie, régente et mère du roi : l’investissement symbolique de l’espace curial », Réforme, Humanisme, Renaissance, n° 79, 2014, p. 65-84.
[10] Compas du Dauphin (Maître de Philippe de Gueldre enlumineur), 1506, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 2285, f. 7r. Pour le confort de la lecture, nous modernisons la graphie et la ponctuation dans les citations de textes du XVIe siècle.
[11] Voir Fanny COSANDEY, « Puissance maternelle et pouvoir politique… », art. cit., §23.
[12] Ibid., art. cit., §1-2.
[13] Anne de France (ou de Beaujeu) a été régente de facto durant la minorité de Charles VIII (1483-1491) et duchesse du Bourbonnais (1488). Voir Aubrée DAVID-CHAPY, « Une femme à la tête du royaume. Anne de France et la pratique du pouvoir », in Thierry Crépin-Leblond et Monique Chatenet (dir.), Anne de France : art et pouvoir en 1500, Paris, Picard, 2014, p. 27-36 et Anne de France. Gouverner au féminin à la Renaissance, Paris, Passés Composés, 2022, en part. p. 157-159.
[14] « L’installation des femmes dans la régence est en fait, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une conséquence directe de leur exclusion du trône » (Fanny COSANDEY, « Puissance maternelle et pouvoir politique… », art. cit., §8).
[15] L’état désespéré de la santé de Louis XII en 1505 n’a finalement rien de définitif (il meurt en 1515).
[16] Ms. Français 2285, f. 5r. Voir Karen GREEN, « Phronesis feminised », in Jacqueline Broad et Karen Green (dir.), Virtue, Liberty and Toleration, Political Ideas of European Women, 1400-1800, Dordrecht, Springer, 2007, p. 23-38 (en part. p. 29).
[17] Chanoine de Poitiers (officiant à la cathédrale Saint-Pierre et à l’église Sainte-Radegonde), Demoulins a été recruté par un fidèle serviteur des Angoulême, Octavien de Saint-Gelais. Issu d’une famille originaire de Blois fortement liée au pouvoir royal, le clerc s’inscrit dans le courant de l’humanisme chrétien, très critique envers les ecclésiastiques dévoyés – tout en gardant ses distances avec les idées luthériennes. Voir François PAROT et Thibaud FOURRIER, « François de Moulins de Rochefort, Maître d’école de François Ier », Mémoires de la société des sciences et lettres du Loir-et-Cher, 2012, p. 39-56 [En ligne] <hal-01194182> ; Charlotte BONNET, « Louise de Savoie et François Demoulins de Rochefort », in Pierre Brioist et al. (dir.), Louise de Savoie, op. cit., p. 253-262 ; René de MAULDE LA CLAVIERE, Louise de Savoie et François Ier. Trente ans de jeunesse (1485-1515), Paris, Perrin et Cie, 1895, p. 234.
[18] Dialogue sur la folie du jeu et la cour de Dame Prudence (désormais Dial.), Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 1863, 15 f., enlumineur anonyme, un seul manuscrit connu : ark:/12148/btv1b85710951 ; http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/81707
[19] Voir Tracy ADAMS, « La Prudence et la formation des femmes diplomates… », art. cit., p. 30 : « […] la mère de François Ier est associée à la prudence dans plusieurs des manuscrits qu’elle a commandés ou elle apparaît de la sorte dans quelques-uns qui lui ont été dédiés, aussi bien dans les textes que dans les enluminures […]. » Voir aussi Anne-Marie LECOQ, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987.
[20] Voir François LEBRUN et al., Histoire de l’enseignement et de l’éducation (II. 1480-1780), Paris, 1981, rééd. Perrin/Tempus, 2003, p. 131.
[21] Il s’agit de jeux d’origine italo-espagnole, importés du Moyen Orient. Voir Élisabeth BELMAS, Jouer autrefois : essai sur le jeu dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2006, en part. p. 109 et p. 140 ; Jean-Michel MEHL, « Les jeux de l’enfance au Moyen Âge », in Robert Fossier (dir.), La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, Presses universitaires du midi, 1997, p. 39-60 et Les jeux au royaume de France du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris, Fayard, 1990 ; Jean-Marie LHÔTE, Histoire des jeux de société : géométries du désir, Paris, Flammarion, 1994, p. 203 sq.
[22] « Le flux se joue sur une combinaison de trois cartes ; dans le glic, après la donne, on étale et on compte les points sans pouvoir échanger les cartes ; le maucontent fait circuler une carte dont les joueurs cherchent à se débarrasser, tandis que la triomphe est un jeu de levées avec atout sans échange de points. » (Élisabeth BELMAS, Jouer autrefois, op. cit., p. 141).
[23] Dans la Somme théologique (1266), « l’eutrapélie » chère à Aristote et à Cicéron est admise car elle fait partie de la vie sociale : ce goût des amusements et de la plaisanterie sans mauvaise intention permet aux esprits de se délasser, une fois les occupations sérieuses achevées. Mais cela ne concerne pas la violente passion des dés ou des cartes. L’obstination « dans l’excès du jeu où il y a une joie déréglée » s’assimile à un péché mortel dès lors que « l’attachement que l’on a pour le jeu » atteint un tel degré « que l’on consente à offenser Dieu plutôt que de s’en priver » (S. Thomas d’AQUIN, Somme théologique, Seconda Secondæ, q.168 « De modestia… », art.2 « Utrum in ludis possit esse aliqua virtus » et art.3 « Utrum in superfluitate ludi possit esse peccatum »).
[24] Remèdes de l’une et l’autre fortune, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 224. Cet ouvrage, copié à Rouen pour Louis XII, enluminé par l’atelier de Jean Pichore, est remis entre les mains de Louise de Savoie en mai 1503 par Georges d’Amboise de la part du roi. Avant cette commande, la traduction (imparfaite) réalisée en 1366, sous Charles V, par l’obscur théologien Jean Daudin (mais attribuée au prestigieux Nicole Oresme), était choisie comme base pour la réalisation des manuscrits du XVe et des imprimés du XVIe siècle. Voir aussi l’édition moderne de PETRARQUE, De Remediis Utriusque Fortunæ / Les Remèdes des deux fortunes (1354-1366), CARRAUD Christophe (trad., éd.), éd. bilingue latin-français, Grenoble, J. Millon, 2002, vol. 2, p. 44 (désormais : trad. CARRAUD).
[25] PETRARQUE, Remèdes de l’une et l’autre fortune, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 224, dial. 37, f. 35r ; PETRARQUE, trad. CARRAUD, vol. 1, I, 26 (« De ludo alee et calculorum » / « Les dés et les échecs »), p. 132-134 et I, 27 (« De ludo taxillorum prospero » / « La chance au jeu »), p. 134-141.
[26] Symphorien CHAMPIER, Régime et Doctrinal d’un jeune prince, 1515, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 1959 ; http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/82579
[27] Ms. Français 1959, f. 13r.
[28] Duché de Valois, duché d’Orléans, comté de Blois, comté d’Angoulême. Selon les Enseignements d’Anne de France, c’est le devoir d’une veuve de gérer ses possessions : voir Aubrée DAVID-CHAPY, Anne de France, op. cit., p. 165.
[29] Voir Fanny COSANDEY, « Puissance maternelle et pouvoir politique… », art. cit. ; Georges DUBY et Michelle PERROT, Histoire des femmes en Occident (II. Le Moyen Âge), Rome, 1990, Paris, 1991, rééd. Perrin/Tempus, 2002, p. 167 sq.
[30] Brigitte E. H. NIESTROJ, « Une contribution à l’histoire de la psychologie du développement et de la socialisation première », in Robert Fossier (dir.), La petite enfance…, op. cit., p. 133-162. Voir aussi notre exposition virtuelle sur le site <enfanceshumanistes.fr>
[31] Dial., f. 14v, ballade.
[32] Tracy ADAMS, « La Prudence et la formation des femmes diplomates… », art. cit., p. 36.
[33] Anne de FRANCE, Enseignements à sa fille : manuscrit d’apparat disparu, recopié intégralement par A.-M. CHAZAUD, 1878.
[34] Pour un parallèle avec Anne de Bretagne, voir Cynthia J. BROWN, « Dédicaces à Anne de Bretagne … », art. cit., p. 35.
[35] Ibid., art. cit., p. 36-37.
[36] Sur ce code vestimentaire (avec serre-tête adopté par Louise vers 1505), voir Alexandra ZVEREVA, « L’éloquence du deuil : portraits de Louise de Savoie », in Pierre Brioist et al. (dir.), Louise de Savoie, op. cit., p. 19-26 (en part. p. 21).
[37] « Or qu’y a-t-il d’aussi beau moralement que la virginité ? […] Qu’y a-t-il encore d’aussi convenable que la volonté, pour une épouse veuve, de conserver la fidélité à son conjoint défunt ? Qu’y a-t-il de plus utile que ceci par quoi on obtient le royaume des cieux ? » (« Quid autem tam honestum quam integritas ? […] Quid etiam tam decorum quam ut vidua uxor defuncto conjugi fidem servet ? Quid etiam hoc utilius quo regnum caeleste acquiritur ? ») : S. AMBROISE, Les Devoirs (De Officiis ministerium), Maurice TESTARD (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1992, II, 6, 27.
[38] Bernard COSNET, Sous le regard des vertus, Tours, PUFR, 2015 [En ligne] : chap. 1 (Les principes figuratifs des vertus), p. 21-80 (en part. §77). Pour l’iconographie de Prudence au miroir, voir Giotto di Bondone, Prudence (1303-1305), Padoue, chapelle Scrovegni.
[39] Héritée de la philosophie grecque (Platon, Aristote, les stoïciens), la phronèsis (jugement politique, discernement, prudence) a été absorbée par le monde romain, puis intégrée dans la tradition patristique aux IVe et Ve siècles avec S. Ambroise et Grégoire le grand – deux des quatre « Docteurs » de l’Église latine – avant d’être l’objet d’une classification au temps de Thomas d’Aquin. Prudence passe ainsi d’une signification spécifique, relative à la connaissance pratique, à un sens synthétique (la sagesse dans l’ensemble de ses dimensions, intégrant toutes les vertus cardinales).
[40] S. AMBROISE, Les Devoirs, op. cit., I, 26, 122.
[41] I Cor 13 :13 : « Maintenant donc demeurent la foi, l’espérance, l’amour, ces trois-là ; mais le plus grand de ces trois, c’est l’amour ».
[42] Bernard COSNET, Sous le regard des vertus, op. cit., chap. 1 (en part. §1-27). Sur la Prudence et sa division en parties, voir S. Thomas d’AQUIN, Somme théologique, Seconda Secondæ, q.47 (« De prudentia secundum se ») et q.48 (« De partibus prudentiæ ») ; sur la Tempérance, les vices qui lui sont opposés et ses parties, ibid., q.141-143.
[43] Il s’agit d’un livre de morale anonyme de la fin du XVe siècle (1480), largement diffusé dans les cercles aristocratiques. Louise en détenait un manuscrit sans apprêt en écriture cursive (Le Chapelet de vertus ou le Roman de Prudence, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 1892 ; http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/74390). Au fil des 58 chapitres, une qualité est exposée (patience, constance et fermeté, bonne gloire, justice, vérité, miséricorde, largesse, humilité…), illustrée à chaque fois par un exemple et opposée à son contraire.
[44] Voir Tracy ADAMS, « La Prudence et la formation des femmes diplomates… », art. cit., p. 34.
[45] Tracy ADAMS, « La Prudence et la formation des femmes diplomates… », art. cit., p. 31.
[46] Les ouvrages de Christine figuraient dans la bibliothèque d’Anne de France, de sorte que « Louise de Savoie […] vécut toute sa vie entourée des livres de Christine de Pizan quand bien même sa bibliothèque personnelle n’en posséda aucun » (Olga VASSILIEVA-CODOGNET, « Quelques échos des miniatures du Livre de la mutacion de Fortune dans l’entourage de Louise de Savoie », Le Moyen Français, vol. 78-79, 2016, p. 255-273, ici p. 256).
[47] Sans Prudence et Sagesse, les autres vertus ne pourraient être bien gouvernées selon l’Épître Othea (Gabrielle PARUSSA (éd.), Genève, Droz, 1999, p. 201). Voir aussi Tracy ADAMS, « Louise de Savoie, la prudence et la formation des femmes diplomates…», art. cit.
[48] Ce bref traité sur les quatre vertus cardinales (écrit avant 1407) glose pour l’essentiel un livre de Martin de Braga (De quattuor virtutibus ou Formula honestæ vitæ) connu dans sa version commentée par le théologien Jean Courtecuisse (1404). Voir Liliane DULAC et Christine RENO, « Rhétorique, critique et politique dans le Livre de Prudence de Christine de Pizan. Quelques aperçus », in Évelyne Berriot-Salvadore et al. (dir.), La Vertu de prudence entre Moyen Âge et âge classique, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 193-222.
[49] Voir Philippe MAUPEU, « Les aventures de Prudence, personnage allégorique », in Évelyne Berriot-Salvadore et al. (dir.), La Vertu de prudence…, op. cit., p. 33-54.
[50] « Et pource que [les princes] doivent être mieux morigénés que autre gent en fait, en coutumes et en paroles ; et est grand méchef [malheur] et préjudice à eux et à plusieurs quand il est autrement. » (Christine de PIZAN, Livre de Prudence, Ms. Harley 4431, British Library, f. 272d ; cité par Liliane DULAC et Christine RENO, « Rhétorique, critique et politique… », art. cit., p. 216)
[51] Voir Pierre CAYE, « La question de la prudence à la Renaissance », in Évelyne Berriot-Salvadore et al. (dir.), La Vertu de prudence…, op. cit., p. 259-277, en part. p. 274.
[52] PETRARQUE, trad. CARRAUD, vol. 1, I, 91 (« De potentia » / « Le pouvoir »), p. 396-397 (« Vera et firma potentia in virtute fundata est. Fundamentum si detraxeris, quo maior, eo periculosior structura »).
[53] François DEMOULINS, Traité sur les vertus cardinales, Guillaume II Leroy enlumineur, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 12247, f. 16v.
[54] Voir Thierry CRÉPIN-LEBLOND, « La mère de l’héritier du trône de France (1504-1514) », in Une reine sans couronne ?, op. cit., p. 58-73 (ici p. 68).
[55] Jean THENAUD, Le Triomphe des vertus (dédié à Louise de Savoie), livre 1 (Triomphe de Prudence), Paris, BnF/Gallica, Ms. Arsenal 3358 et Ms. Français 443 (copie de l’exemplaire de dédicace à Louise de Savoie [1517] conservé à Saint-Pétersbourg BNR, Ms. Fr. v. XV, 1). Sur l’auteur et ses Triomphes, voir Olga VASSILIEVA-CODOGNET, « Quelques échos des miniatures du Livre de la mutacion de Fortune… », art. cit., p. 264 ainsi que le collectif réuni par Isabelle FABRE et Gilles POLIZZI (dir.), Jean Thenaud voyageur, poète et cabaliste, Genève, Droz, 2020.
[56] L’interruption tient au pèlerinage du Franciscain en Terre Sainte dans les années 1510. Ce voyage entrepris à la demande de Louise de Savoie comprenait aussi un volet diplomatique défini par Louis XII.
[57] Jean THENAUD, Triomphe de Prudence (Le Triumphe des vertuz), Titia J. SCHUURS-JANSSEN (éd.), Genève, Droz, 2007, chap. 9, p. 224.
[58] Cette imitation de l’Éloge de la Folie au chap. 9 du Triomphe de Prudence a particulièrement retenu la critique depuis les années 1950, de Marie HOLBAN à Victoria KAHN et à Jean-François VALLÉE (voir Bibliographie).
[59] Jean THENAUD, Triomphe de Prudence, SCHUURS-JANSSEN, Titia J. (éd.), op. cit., chap. 11, p. 273-275 ; Ms. Arsenal 3358, f. 146r.
[60] Jean THENAUD, Triomphe de Prudence, SCHUURS-JANSSEN, Titia J. (éd.), op. cit., chap. 11, p. 275 ; Ms. Arsenal 3358, f. 147r.
[61] Voir Aubrée DAVID-CHAPY, « Louise de Savoie, régente et mère du roi… », art. cit., p. 65 : « […] François Demoulins et Jean Thenaud travaillent au service de la duchesse d’Angoulême afin de créer ce personnage tout à fait hors du commun qui investit l’espace curial par sa puissance politique et son autorité symbolique. »
[62] Symphorien CHAMPIER, Régime et Doctrinal d’un jeune prince, 1515, Paris, BnF/Gallica, Ms. Français 1959, f. 2r.
[63] Voir Patricia EICHEL-LOJKINE et Laurent VISSIÈRE (éd.), introduction à Claude de SEYSSEL, Les Louenges du roy Loys XII, Genève, Droz, 2009, p. 58.
[64] Ces réflexions conduisent à proposer un idéal de gouvernement alternatif à celui de Louis XI, « tellement craint et redouté que personne dans son royaume, même les princes du sang, n’était en sécurité », selon le chroniqueur Jean de ROYE : Chronique scandaleuse. Journal d’un Parisien au temps de Louis XI, Joël BLANCHARD (éd., trad.), Paris, Pocket, 2015, p. 358.
[65] Lors des expéditions militaires italiennes menées par François Ier, en 1515 (régence restreinte), puis en 1524-1526 (absence du roi prolongée par sa capture à Pavie par les Impériaux).